Pertinence des Prix Nobel de la Paix

Pierre Jasmin est artiste pour la paix et membre exécutif de Pugwash Canada; Co-président d’honneur du Mouvement Québécois pour la Paix.

Une Kurde militante yézidie, Nadia Murad et le gynécologue congolais Denis Mukwege reçoivent conjointement le prix Nobel de la Paix 2018.

Les deux gagnants 2018

Nadia Murad

Denis Muwkege

C’est pour leur lutte commune contre les violences sexuelles en tant qu’armes de guerre que les deux gagnants 2018 ont été récompensés. “Denis Mukwege et Nadia Murad ont tous les deux risqué personnellement leur vie en luttant courageusement contre les crimes de guerre et en demandant justice pour les victimes”, a déclaré la présidente du comité Nobel, Berit Reiss-Andersen, qui a ajouté : « Un monde plus pacifique ne peut advenir que si les femmes, leur sécurité et droits fondamentaux sont reconnus et préservés ».

L’annonce est survenue tout juste un an après le phénomène planétaire #MeToo déclenché par des allégations de femmes courageuses sur les exactions des producteurs Harvey Weinstein et Gilbert Rozon. Elles ne sont nullement comparables, évidemment, avec les meurtres et viols commis envers femmes et enfants autochtones au Canada ni avec les monstrueux crimes commis par centaines de milliers au Congo et en Irak ; la triste affaire du maintenant juge à la Cour Suprême des États-Unis, l’honorable (!) Brett Kavanaugh, montre que les membres républicains du Sénat américain n’ont toujours pas compris que sécurité et droits fondamentaux des femmes méritent respect en tout temps, chez eux comme à l’étranger. Le vote 51 à 49 en faveur du juge montre combien l’Église évangélique exerce une influence démesurée sur la politique américaine, avec ses attaques contre l’avortement primant toute autre considération « chrétienne ».

En 2018, le Prix Nobel souligne donc le courage commun du médecin congolais « l’homme qui répare des femmes » et de l’esclave sexuelle Nadia Murad, violée par des membres de l’Armée islamique à Mossoul (où six de ses frères et sœurs avaient été massacrés) avant de pouvoir s’échapper au Kurdistan puis de rejoindre sa sœur rescapée en Allemagne : la militante yézidie y a été nommée ambassadrice internationale de la dignité des victimes de la traite des femmes.

Les Prix Nobel des cinq dernières années

En 2017, le Nobel de la paix était accordé à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN) pour avoir contribué à l’adoption du Traité historique d’interdiction de l’arme atomique présenté en juillet 2017 à l’ONU par l’ambassadrice du Costa Rica, Elayne Whyte Gomes. Déléguée pour accepter le prix à Oslo, notre amie torontoise Setsuko Thurlow n’a pourtant jamais été reçue par le Premier ministre Trudeau.

En 2016, le prix fut accordé au président colombien Juan Manuel Santos, qui avait réussi un accord avec les guerilleros FARC en vue de leur réinsertion dans la société civile. Il a depuis été défait par le déferlement d’une droite haineuse en Amérique centrale (malgré l’accession de Mgr Romero à la sainteté) et en Amérique du Sud, alors qu’on craint au Brésil l’élection d’un candidat d’extrême-droite, misogyne, raciste, homophobe et militariste, pourtant plébiscité à 46% au premier tour.

En 2015, le Quartet du dialogue national Tunisien avait reçu le prix, en partie pour l’inclusion du respect de la laïcité dans le document constitutionnel, une exception culturelle dans les pays arabophones d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

En 2014, la Pakistanaise Malala Yousafzai, âgée de 17 ans, et l’Indien Kailash Satyarthi ont reçu le Prix “pour leur combat contre l’oppression des enfants et des jeunes et pour le droit de tous les enfants à l’éducation ». On se souvient que Malala avait subi une attaque sauvage des Taliban extrémistes, opposés à l’éducation des femmes pour laquelle elle militait dès son plus jeune âge.

L’Organisation pour l’élimination des armes chimiques (OPCW – ONU) s’était mise à l’œuvre en Syrie dès le mois d’août 2013, à l’incitation de la Russie, contribuant à écarter une intervention armée projetée par le trio US-France-Angleterre contre Bachar al-Assad. Si la France était fanatisée par les cris de guerre de Bernard-Henri Lévy envers la Syrie encore considérée comme ancienne de ses colonies, heureusement Obama, lui, n’était pas chaud à l’idée de commencer une autre guerre d’invasion américaine. Et en Angleterre, le Parlement britannique avait carrément fait défection contre les plans guerriers du Premier ministre David Cameron, avec des députés conservateurs se rangeant du côté travailliste : les nouveaux travaillistes étaient absolument dégoûtés des manipulations de leur ancien leader, le militariste Tony Blair, qui avait déclenché avec George Bush une guerre dévastatrice en Irak (à laquelle le Canada s’était objecté, sous Jean Chrétien).

En guise de conclusion

On a souvent reproché à l’organisation des prix Nobel leurs erreurs d’avoir nommé Aung San Suu Kyi, Henry Kissinger ou Obama, ce dernier sur la base de son seul discours de Prague (2009), hélas démenti par ses actions et celles ultérieures du Congrès majoritaire républicain. Et ce même si depuis 2005, le Comité Nobel s’est engagé à ne nommer que « des personnes, groupes ou organismes qui auront engagé leur existence au service des droits de l’homme, de la promotion du modèle démocratique ainsi que de la défense des voies de la diplomatie ».

Par contre, le Canada s’est enorgueilli à bon droit de voir récompensés

  1. Jody Williams et la Campagne internationale (à laquelle avaient participé Mines action Canada, Humanité Inclusion, etc.) pour interdire les mines antipersonnel par l’adoption du Traité d’Ottawa en 1997
  2. ainsi que Josef Rotblat et l’organisme international Pugwash pour leur lutte contre les armes nucléaires en 1995, 40ième anniversaire du manifeste Einstein-Russell.

Déjà, en examinant les récompenses de cette année et des cinq précédentes, ne faut-il pas convenir de la fantastique pertinence des Prix Nobel ?

Deux versions antérieures de ce texte ont été publiées par l’Aut’Journal et sur : http://www.artistespourlapaix.org/?p=15385

EN / FR